Somaliland
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Voyage en terre inconnue
Carnets d’Afrique, …
le blog de Pierre Lepidi, journaliste au Monde
Les 16 et 17 mai 2013
Aux yeux de la communauté internationale, le Somaliland n'existe pas. Considérée comme un territoire fantôme, cette république autoproclamée de la corne de l'Afrique se distingue pourtant par sa stabilité, sa capacité à lutter contre les milices islamistes et ses orientations démocratiques.
Samedi 18 mai, le Somaliland a fêté ses 22 ans d'indépendance.
Hargeisa (Somaliland)
C’est un territoire qui, depuis vingt-deux-ans, n’apparaît que sur quelques cartes. Situé dans la corne de l’Afrique, le Somaliland, peuplé de 3,5 millions d’habitants, a pourtant une capitale, Hargeisa, un président élu démocratiquement, une monnaie, une armée, une police et même un hymne enjoué (Samo ku waar, Une longue vie en paix, en somali).
Pour ses habitants et les rares étrangers qui s’y rendent, le Somaliland n’est pas la Somalie. Hargeisa, la capitale, est située à environ 850 km de Mogadiscio mais à des années-lumière en termes de sécurité et de libertés. Les rues d’Hargeisa sont bruyantes, vivantes, colorées. Aux abords du modeste palais présidentiel, on se bouscule dans un souk pour acheter de l’huile, de l’encens, des voiles multicolores… Un peu plus loin au coin d’une rue, deux femmes improvisent un débat sur les prochaines élections, un cornet de glace à la main. De telles scènes seraient inimaginables de l’autre côté de la frontière virtuelle qui sépare les deux entités.
Depuis 20 ans, la Somalie – considérée comme le plus défaillant et le plus corrompu des pays du globe selon l’enquête de Transparency international (2010) - est plongée dans une guerre civile qui oppose les Chabab, des milices islamistes affiliées à Al-Qaïda, à d’innombrables chefs de guerre et autres clans mafieux. Après le fiasco de l’opération « Restore Hope », menée par les Etats-Unis sous l’égide de l’ONU en 1992, le pays s’est enfoncé un peu plus dans le chaos. Et si les Chabab ont déserté Mogadiscio, les plaies qu’ils ont ouvertes restent béantes, et leurs attaques fréquentes.
Une "succes story" à l'africaine
Aux yeux de la communauté internationale, le Somaliland n’existe donc pas. C’est une république autoproclamée, autant dire un pays fantôme, dont l’histoire se raconte pourtant comme une success story africaine. Elle en a la trame, même si le dernier chapitre reste encore à écrire. Ancien protectorat britannique, le territoire a acquis son indépendance le 26 juin 1960. Cinq jours plus tard, le 1er juillet, il s’est uni à la Somalie, anciennement colonisé par l’Italie. Des membres du gouvernement aux vendeurs de rue d’Hargeisa, on aime comparer cette union « à un mariage raté. »
Contraint à l’exil, Siad Barré a finalement quitté Mogadiscio en janvier 1991. Quatre mois plus tard aux confins de la corne de l’Afrique, naissait un nouveau territoire : le Somaliland. « Pour nous, le divorce avec la Somalie était définitivement prononcé, raconte Mukhtara Haji Eden, responsable au ministère de la culture. Les dégâts de l’aviation somalienne étaient si importants dans la capitale qu’elle fut rebaptisée « la ville sans toit. » Nous avons construit ce pays sur un champ de ruines. »
Un système de gouvernance hybride
Dès la chute de Siad Barré, un conseil clanique (appelé shir) s’est réuni à Berbera, principal port du Somaliland. A l’ombre de grands arbres et avec l’aide du khat, ces feuilles vertes très répandues en Afrique de l’est que l’on mastique (on dit « brouter ») pour leurs vertus stimulantes et euphorisantes, les palabres ont duré plusieurs jours. Une trentaine de sultans et des dizaines de chefs de clans et de sous-clans issaks ont d’abord décidé d’accorder leur pardon aux ethnies minoritaires, comme les gadaboursi (20%), qui avaient refusé de prendre les armes aux côtés du MNS. Ce choix a permis de faire avancer la résolution d’innombrables contentieux, issus de la guerre et des manigances de Siad Barré. « On ne bâti pas une nation sur du ressentiment et de la haine, assure Edna Adan, ancienne ministre des affaires étrangères du Somaliland (2005 à 2010). Il a même été décidé de laisser un corridor de sécurité pour permettre aux soldats somaliens d'évacuer certaines zones, sans se faire massacrer par la population. »
Le 18 mai 1991, lors du shir de Burao, à l’est du territoire, la dissolution de l’union avec la Somalie a été officiellement prononcée. Le shir a cette fois décidé de donner au pays naissant une orientation démocratique, inspirée de la common law britannique, mais en l’appuyant sur des structures traditionnelles et l’autorité des anciens (appelés gurtis). C’est ce système de gouvernance hybride qui a permis au Somaliland de rester (globalement) stable et de se développer, sans aucune aide extérieure. A l’inverse, la Somalie – contrainte d’abandonner ses structures traditionnelles sous le règne de Siad Barré – a sombré dans l’anarchie dès le départ du dictateur.
"J'ai toute ma liberté d'expression"
Mais, quelques jours avant la proclamation des résultats, une manifestation organisée par les membres d'un parti d’opposition a dégénéré, faisant trois morts et une dizaine de blessés. « Je peux critiquer ouvertement ce gouvernement, car j’ai toute ma liberté d’expression, assurait quelques semaines plus tôt Jamal Ali Hussein, responsable de UCID, un autre parti d’opposition. Nous avons la meilleure démocratie d’Afrique de l’est : vous n’avez qu’à comparer... »
Il a raison. En Éthiopie, Meles Zenawi, décédé en septembre 2012, était accroché au pouvoir depuis 21 ans. A Djibouti, Ismael Omar Guelleh préside depuis 1999 et, en Érythrée, Issayas Afeworki depuis 1993. En Somalie, un premier gouvernement composé de dix membres n'a été formé qu'en septembre 2012...
L’économie du Somaliland repose sur l’agriculture, l’élevage et le soutien financier de la diaspora, principalement regroupée à Londres. Les taxes perçues au port de Berbera grâce à l’exportation du bétail remplissent en grande partie les caisses de l’Etat. La plupart des produits de consommation courante sont donc importés. Des paquets de gâteaux aux boites de conserve en passant par les couches-culottes, on trouve de tout dans les magasins à l’exception de l’alcool.
Le gouvernement mise sur l'éducation
La moitié du budget de l’Etat est consacrée à la sécurité intérieure du pays. Car la menace est réelle. Depuis la fuite des Chabab de Mogadiscio, de nombreux groupes se sont réfugiés dans les montagnes de Golis, une zone difficile d’accès remplie de grottes, située entre la région autonome du Puntland et du Somaliland. A Hargeisa, le dernier attentat remonte à 2008. Des explosifs placés dans des voitures piégées garées devant des bâtiments officiels avaient fait 25 morts. « Les Chabab sont des terroristes et nous faisons tout pour les empêcher d’agir chez nous », assure Abdirahman Abdilahi Saylici, vice-président du Somaliland. Mi-novembre, à la veille du nouvel an musulman, une voiture équipée d’un haut-parleur sillonnait les rues poussiéreuses d’Hargeisa. A l’intérieur, une femme mettait en garde la population : « notre religion est celle du prophète et pas celle des Chabab, qui sont des assassins. Ils n’ont rien à voir avec la religion musulmane : n’écoutez pas ce qu’ils racontent… »
Pour lutter contre l’islamisme radical, mais aussi contre la tentation pour certains de se lancer dans la piraterie maritime, qui est très répandue dans le golfe d’Aden, le gouvernement mise sur l’éducation. En 2011, le budget alloué à ce ministère est passé de 4% à 10% (le salaire des professeurs a doublé pour atteindre 76 euros), et l’enseignement primaire est devenu gratuit. Mais le taux de chômage reste très élevé et pousse de plus en plus de jeunes à l’émigration clandestine. Après leurs études à l’université (le Somaliland en compte seize), ils ne trouvent pas de travail et tentent parfois clandestinement leur chance en Europe, via l’Éthiopie et la Libye.
Un allié intéressant
Pour les autorités du Somaliland, il n’y a plus de doute : le salut passe maintenant par la reconnaissance internationale. « Nous l’attendons depuis 21 ans, assure Abdirahman Abdilahi Saylici. Grâce à elle, nous allons donner de l’emploi aux jeunes, signer des contrats avec des entreprises internationales, obtenir des prêts du FMI... Nous sommes arrivés à un stade où on ne peut plus continuer à se développer sans être reconnu par les autres nations. » Seule l’Éthiopie, qui a une ambassade à Hargeisa, reconnaît aujourd’hui officiellement le territoire. Le Kenya possède aussi une représentation consulaire et les Nations-unies ont même ouvert un bureau. Un paradoxe ? « Non, c’est du pragmatisme », confie un diplomate occidental.
Car nul ne peut ignorer la situation géostratégique du Somaliland qui par sa stabilité, sa volonté de contenir les milices islamistes hors de ses frontières et sa participation à la lutte contre la piraterie (des détenus seychellois sont même incarcérés dans la prison d’Hargeisa qui a été rénovée par des fonds européens) se présente comme un allié intéressant. Pour le reste ? Selon la communauté internationale, la première étape de la reconnaissance passe d’abord par un accord avec la Somalie.
Et si jamais la Somalie accordait l’indépendance à son voisin, il faudrait ensuite l’accord de l’Union Africaine. En 2009, une demande a été faite en ce sens mais elle est restée lettre morte. Et il se murmure maintenant que les dirigeants africains craignent de voir déferler une vague d’indépendances sur leur continent, après la reconnaissance du Soudan-du-sud en 2011. « En faisant sécession et en bâtissant un pays démocratique, nous n’avons fait que 30% du chemin qui permettra de le faire reconnaître », regrette Abib Diriye Noor, ministre de la communication. La route qui mène à l’ONU s’annonce encore longue.
25 mai 2013
Journal de Boningal